Histoire et Tradition en finition

Ces hommes frustes et simples avaient apporté dans leur cœur les traditions folkloriques des diverses provinces de France. À leur tour, ils surent faire œuvre de créateurs dans leur nouveau pays, en y ajoutant une note personnelle. De leurs mains, sont sorties des meubles qui témoignent de l'humble vie de tous les jours, meubles pour manger, pour dormir, meubles pour s'asseoir près de la cheminée en fredonnant des chansons au dernier-né ou en fumant sa pipe.....

Ces artisans ne se contentaient pas d'un vulgaire assemblage de planches ; il leur semblait naturel de donner une personnalité à leur mobilier en le décorant. Les objets avec lesquels on allait vivre devaient exprimer de la joie, de l'harmonie. Du plus humble paysan au plus riche seigneur, du petit curé de campagne à l'évêque, cette préoccupation de la beauté des objets était primordiale.

Durant la période de reconstruction qui suivit, 1763, les architectes, les maçons, les charpentiers, les menuisiers, les sculpteurs, les orfèvres, etc., travaillèrent d'arrache-pied et continuèrent la tradition. Les influences des styles régence et Louis XV venaient à peine de se faire sentir en Nouvelle-France, entre les années 1740 et 1760, et nos menuisiers s'en donnèrent à cœur joie avec la profusion des chantournements, des spirales, des rinceaux et des coquilles. Le mobilier au Canada français connut donc son épanouissement technique et atteignit son apogée entre les années 1785 et 1820.

À partir de 1820, presque tous nos meubles ont perdu leur caractère français et sont inspirés des styles anglais et américains ; le meuble traditionnel d'esprit français a presque cessé d'exister. A l'avènement de l'ère industrielle, il disparaîtra complètement.

Vers 1716, la profession de peintre (pinthier) et celle de vitrier ayant été traditionnellement associés, il est à peu près certain que le mot `` pinthier `` est une variante du mot peintre, construite par comparaison avec des noms comme charpentier, menuisier. La présence du nom " pinthier " est logique au sein de la norme des noms de métier et ne peut être qu'une corruption du nom peintre.

Le mobilier du Canada français de 1650 à 1750, s'inspirait surtout du style Louis XIII. On constate, après avoir consulté les archives, que la plupart des meubles de cette époque étaient teints plutôt que peints. Dès que le menuisier avait fini son meuble, il en faisait la mise en couleur, avec des teintes transparentes ou opaques, qui imitaient le noyer français ou le vieux chêne, comme il était de tradition en province française. Nos bois étaient blancs à l'origine, on ne pouvait laisser le meuble dans cet état ; il serait devenu sale et gras. Exceptionnellement, le meuble était fini en bois naturel, puis légèrement passé au vernis clair, ceci pour protéger le bois qui était tout blanc et donc sensible aux marques de doigts ou moindre effleurement d'un corps étranger.


À partir de 1745, on rencontre dans les inventaires, des meubles peints, dont plusieurs, en rouge. Plus tard, presque tous les meubles durent être peints. On retrouve certaines de ces couleurs conventionnelles sur des trumeaux, des lustres et des fauteuils du XVIIIe siècle en France. Les couleurs les plus utilisées sont donc ; un bleu-vert très foncé, un bleu-vert subtil, un blanc teinté d'ocre jaune, une couleur à l'ocre rouge ou oxyde de fer, cette dernière couleur fut très en vogue à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle. Dans certaines régions de notre pays, plus particulièrement dans la région de Trois-Rivières, les habitants ramassaient de la terre rouge dans les champs et la broyaient dans de l'huile de lin. On la mélangeait encore avec du lait écrémé. Une autre peinture fort employée dans les meubles et boiseries au siècle dernier et encore aujourd'hui, plus particulièrement dans les églises et couvents, imitait les veines du bois. Il est ridicule de vouloir imiter les veines du bois, quand le bois véritable est en dessous.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, une variété croissante de produits destinés à la fabrication et aux mélanges de peinture devint disponible. Les marchands avaient la possibilité d'attirer l'attention d'un public plus vaste sur leurs marchandises grâce aux annonces publicitaires. Dès le 2e numéro de la Gazette de Québec, premier journal de la colonie, et jusqu'en 1800, on trouve en abondance des annonces publicitaires concernant peintures, huile de lin, térébenthine et pinceaux. Le 28 juin 1764, Henry Taylor offre à ses clients de la térébenthine, de l'huile de lin préparée et tirée au froid... de l'ocre rouge et jaune, de la litharge, du blanc et du rouge de plomb, avec plusieurs couleurs différentes pour peindre. Dans le numéro suivant Samuel Sills annonce de l'huile de lin, de la peinture de différentes sortes.

Quelques années plus tard, très précisément le 25 juin 1772, James Sinclair présente aux lecteurs de la Gazette de Québec, la liste suivante : " Des Peintures blanches, vertes, rouges et brunes. De l'Huile de lin bouillie, des Pinceaux de peintre, du Blanc d'Espagne, du Plomb rouge, et de l'Ocre jaune " .

On se rend compte qu'il était dans le milieu du XVIIIe siècle, tout à fait facile de se procurer de la peinture et, qui plus est, que l'éventail de couleurs était fort varié, qu'il s'agisse de peindre des boiseries, des murs intérieurs ou des meubles. Dès la première moitié du XVIIIe siècle, ont eu recours à des matériaux d'origine indigène pour la fabrication de certaines teintures ou peintures. On a utilisé de l'écorce de pruche pour teindre une armoire vers 1732 selon un article de P.-L. Martin.

En 1826, au sujet de la production et de l'utilisation des couleurs au Canada français à partir de matériaux d'origine locaux, des couleurs obtenues, William Green écrit ceci : dans la paroisse de L'Ancienne-Lorette et dans celle de Saint Augustin près de Québec on trouve dans le sol alluvial à une profondeur de trois pieds une couche horizontale de fine argile jaune. Cette terre à une très belle teinte foncée et s'y ont y ajoute du blanc en proportion varié elle donnera toutes les teintes dont permettent les meilleurs ocre. Quand elle a été brûlée elle donne un rouge léger qui ressemble à celui qu'on obtient lorsqu'on brûle de l'ocre jaune, mais tirant davantage sur l'orange. C'est une couleur opaque qui se mélange facilement à l'huile ou l'eau ; mêler à l'huile elle sèche bien. Les Îles de la Madeleine, dans le golfe du Saint-Laurent fournissent une terre rouge qui est apportée à Québec en motte ..... Elle ressemble beaucoup au rouge indien. Je n'y vois aucun caractère inférieur, ou aucune autre différence que celle-ci ; la terre canadienne, dans son état naturel, est plus pâle que l'autre, tirant davantage vers la teinte de la laque rouge, cependant, c'est un rouge très foncé, assez foncé pour répondre à toutes les utilisations possibles en peinture. Une fois brûlée cette terre devient très brillante.

Les deux principaux constituants de la peinture sont le pigment et le véhicule ; ce dernier contient le liant ( généralement l'huile de lin ou autre), le solvant (térébenthine, alcool) et la matière asséchante (litharge ou oxyde de plomb). Les pigments peuvent être d'origine végétale (indigo, garance, etc.) ou provenir de métaux ou de terres (plomb rouge, plomb blanc, oxyde de fer, ocres, terre rouge, etc.). Les teintures étaient généralement obtenues à partir de substances végétales diluées dans l'eau.

En 1845, Rufus Porter, un des premiers écrivains d'Amérique du Nord à discuter la peinture et ses techniques, affirme que pour ce qui est de la peinture extérieure, il n'est besoin d'utiliser d'autre ingrédient que l'huile de lin pure, dans laquelle on aura dilué le pigment. Les peintures intérieures cependant nécessitent, selon Porter, un ingrédient qui soit plus asséchant que l'huile de lin vierge, c'est la litharge qu'on doit employer à cette fin, après l'avoir finement broyée et ajoutée à la peinture, dans les proportions d'une once pour une livre de peinture. L'huile non raffinée mêlée à la litharge est particulièrement bien adaptée au traitement des planchers et autres boiseries intérieurs. La térébenthine et quelques fois l'alcool mêlé à l'huile de la deuxième ou troisième couche donne un éclat mat, et rend la peinture plus ferme et plus dure.

Les couleurs utilisées en peinture en bâtiment et pour la peinture d'agrément.
Les rouges : Carmins ou extraits de cochenille : rouge garance. Rose laque ou rose tendre obtenu à partir de craie teinté d'extrait de bois du Brésil ; vermillon, rouge vif obtenu à partir de cinabre pulvérisé ; on peut ajouter du rouge de plomb ; les ocres, la sanguine et la terre de Sienne brûlée : l'orange est obtenue à partir du rouge orpiment, et également à partir d'une infusion de curcuma et d'esprit de vin à laquelle on aura ajouté une solution d'étain.
Les bleus : l'indigo est un extrait de la plante de ce nom ; le bleu de Prusse s'obtient à partir de potasse calcinée et de sang de bœuf ; la cendre bleue provient d'une solution de cuivre dans l'eau forte.
Les verts : Le vert de gris est une incrustation de cuivre produite par la corrosion des acides, il donne une belle couleur verte, avec une légère teinte bleutée ; quand on le fait bouillir avec du vinaigre il donne une couleur d'une grande transparence.

Voici une recette pour une méthode de préparation d'un produit de remplacement pour la peinture à l'huile. Il arrive souvent que les gens ne choisissent pas d'employer ou ne puissent employer la peinture à l'huile à la campagne soit parce qu'elle ne sèche pas assez vite et a une odeur insupportable ou parce qu'elle revient trop cher. La méthode suivante a employé avec le plus grand succès pour peindre plafonds, portails, portes et mêmes meubles.

Comment faire : prenez du lait caillé frais et écrasez les caillots avec une meule ou bien dans un récipient en terre ou dans un mortier en vous aidant d'une spatule ; ceci fait, mettez-les dans un pot avec une quantité égale de chaux bien trempée et assez épaisse pour être pétrie ; brassez soigneusement le mélange sans ajouter d'eau et vous obtiendrez bientôt un liquide de couleur blanche qui peut s'appliquer aussi facilement que le vernis et qui sèche très rapidement ; il est nécessaire, cependant d'employer le jour même, car il serait trop épais le jour suivant. Quand deux couches de cette peinture auront été appliquées, on peut la faire briller avec un morceau d'étoffe de laine ou tout autre substance convenable, elle deviendra alors aussi brillante que le vernis.

Pour les bâtiments intérieurs
Le lait de chaux s'obtient en mélangeant de la chaux vive, de l'eau bouillante et du sel. L'inconvénient du simple lait de chaux est de s'écailler assez rapidement sous l'influence des agents atmosphériques. C'est la raison pour laquelle on ajoute du sel, un ingrédient qui permettrait à l'enduit de sécher sans craqueler. Pour obtenir un blanc plus éclatant, certains joignent de la craie, dite " blanc d'Espagne ". Pour une meilleure adhérence, on y mêle de la farine de riz et de la colle forte.

Pour les bâtiments extérieurs
Quoique généralement, on laisse le lait de chaux de couleur blanche, il est possible de le colorer avec des ocres et du noir de fumée. L'emploi de l'ocre jaune, comme celui provenant de dépôts alluviaux de L'Ancienne-Lorette et de Saint-Augustin, donne une couleur crème. La terre d'un brun cannelle, s'apparentant à la terre d'ombre et provenant de Baie-Saint-Paul, mélangée à du noir de fumée, fournit une couleur pierre. Et la terre
" rouge brûlée " des Iles-de-la-Madelaine, se rapprochant du sulfate de fer, appelé " rouge indien " et mélangé à de la terre d'ombre et du noir de fumée, donne une couleur faon.

Plusieurs habitants délayent dans l'eau, une glaise bleue, le lait et le lessi*, un sable jaune, riche en oxyde de fer. Selon que l'oxyde est précédemment chauffé ou non, le produit prend une couleur " rouge agréable " ou " approchant le jaune ". Cet ingrédient peu coûteux, qui teint fortement aux bâtisses et préserve bien le bois des injures et des rigueurs du temps.

*lessi : On obtient un lessi, ou lessive de cendres, en versant de l'eau bouillante sur la cendre de bois franc dans une grande cuve. L'eau filtrée par la cendre, s'écoule très lentement par un petit trou percé sous la cuve.


" Contrairement à l'opinion de certaines gens, je crois que pour innover, pour créer, il faut s'appuyer sur une tradition, comme l'ont fait tous les pays d'Europe dont la culture s'est développée durant plusieurs siècles, à partir de leurs arts et traditions populaires. Ii n'est pas question de retourner en arrière, d'imiter servilement le passé, mais de le reconnaître, de le respecter et de l'assimiler. En effet, si se donne la peine de bien la comprendre, la véritable tradition est vivante, par conséquent " moderne ". Cela permettrait une révision de nos valeurs, un plus libre choix, un plus juste inventaire de nos possibilités à l'égard des créations futures. Il serait tragique que cette culture d'un peuple, qui jadis marqua une époque, ne survive qu'à l'état de témoignage. "
Jean Palardy

En espérant vous avoir procuré du plaisir à lire ce petit document qui traite des bonnes vieilles connaissances de nos ancêtres qui sont si souvent oubliées.

J.Paul le finisseur dit lecujean

Bibliographie
Les meubles peints du Canada français 1700-1840, John A. Fleming,
Musée canadien des civilisations, 1994
Les quatre saisons dans la vallée du Saint-Laurent, Jean Provencher,
Les Éditions du Boréal, 1988
Les meubles anciens du CANADA FRANÇAIS, Jean Palardy,
Le cercle du Livre de France.Ltée, 1971

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